Crazy Rich Asians

Je ne vais pas faire une liste des mauvais films que j'ai vu en 2018 pour une raison simple : je les ai oublié et je n'ai aucune envie de m'en souvenir. Il y a par contre un film que je n'ai pas oublié et dont je ne risque pas d'oublier le sentiment d'indignation qu'il a suscité en moi. Ce film c'est "Crazy Rich Asians" de Jon M. Chu (2018) [Lien].

La seule raison pour laquelle j'ai regardé ce film c'est parce qu'il a fait beaucoup fait parler de lui comme le premier gros succès au box-office américain avec un casting entièrement asiatique. Sinon, je n'aurai sans doute pas regardé le film : les comédies romantiques ne sont pas vraiment ma came.

 

Ça raconte quoi ?

Le film raconte l'histoire de Rachel Chu, une professeur New-Yorkaise d'origine asiatique. Elle propose à ses élèves un style d'éducation très particulier à base de poker afin de faire passer un message extrêmement élémentaire de psychologie, mais ce n'est pas le sujet du film. Le sujet du film c'est son histoire d'amour avec Nick Young.

Nick Young est un très riche héritier singapourien, genre aussi connu que Rockefeller ou Trump. Le quiproquo rigolo c'est que Rachel, malgré sa maîtrise du chinois et sa relation proche avec sa mère qui a grandi en Chine, n'a jamais entendu parler de Nick Young.

Vous pourriez vous demander comment cette information a pu lui échapper puisqu'elle sort avec lui depuis plus d'un an, qu'elle a un smartphone connecté à Internet et que les gens le photographie quand ils sont au restaurant, mais ce n'est pas le sujet du film. Le sujet du film c'est qu'elle l'aime sans savoir qu'il est riche.

Son amour est donc pur puisqu’il ne dépend que de sa beauté physique, critère tout aussi inégalitaire et intéressé mais accepté et poussé par notre société alors ça va.

Le proverbe dit "ignorance is bliss" et Rachel va s'en rendre compte en prenant l'avion pour Singapour, où son bel héritier l’emmène pour assister à un mariage. Là où la populace voyage serrée dans de petits sièges inconfortables, nos héros voyagent dans ce qui s'apparente plus à une chambre d'hôtel et restaurant gastronomique au sein même du Boeing.

Après cela la pièce a un peu du mal à tomber pour Rachel, ce qui offre quelques variantes du quiproquo rigolo.

Avant de se rendre aux préparatifs du mariage, Rachel va retrouver une amie qu'elle a connu à New-York et qui est retournée dans sa famille à Singapour. Elles auraient pu se retrouver dans un restaurant ou un bar pour discuter calmement du bon vieux temps mais les deux trentaines préfèrent se retrouver chez la famille de l'amie au grand complet.

Si la famille de son amie semble riche, le père fait sans problème passer Jacquouille la Fripouille pour un intellectuel de renom et le fils semble clairement avoir besoin d'un suivi psychologique important. L'ensemble baigne dans une vulgarité "bling bling" trumpesque. On pourrait penser que cette représentation des "nouveaux riches non-blancs" incapables d'apprécier autre chose que le tape à l’œil exubérant est un peu raciste, mais puisqu'on est entre asiatiques, pas de soucis, on s'en sort. Ouf !

Rachel se rend ensuite dans sa future belle-famille (spoiler alert?) pour les présentations de rigueur. L'accueil est plutôt froid puisque la belle-mère ne voit pas d'un bon œil cet apport de sang occidental (d'origine asiatique mais "contaminé" d'individualiste occidental) et les amies de la famille jalousent sa position de princesse. C'est donc un peu difficile pour Rachel. On pourrait penser qu'en femme indépendante elle va se dire que ce n'est pas grave et en profiter pour aller faire un peu de tourisme plutôt que de gâcher le mariage et retrouver son milliardaire de compagnon pour le vol du retour, mais non.

Elle va plutôt décider de suivre le rythme des festivités de préparation du mariage en tout genre. Le jeu semble être de dépenser le plus d'argent possible, de la façon la plus irresponsable possible... Bonne nouvelle également : si la pollution, le réchauffement climatique existent à Singapour, la famille Young semble être exemptée d'empreinte carbonne. En 3 jours on va en effet prendre des voitures de sport, des avions, des hélicoptères et un paquebot (difficile à caser mais on a pas à faire à des débutants).

Le jour du mariage, Rachel est quand même vraiment malmenée par sa belle-mère qui lui reproche entre autres ses origines ouvrières et le manque de docilité de sa mère envers son mari. Elle lui reproche également d'être trop individualiste, de penser à son bohneur d'abord avant le bien de la famille. S'en est trop : Rachel s'enfuit en pleurs. Les larmes doivent d’ailleurs vraiment gêner sa vision puisqu'elle semble tourner en rond sur la piste de danse ouverte pendant plusieurs longues minutes avant d'en trouver la sortie.

Là encore, on pourrait penser qu'elle va rentrer chez elle et se dire qu'en fait elle s'en fout. Mais non, elle décide d'aller se réfugier en PLS chez son amie (la "nouvelle riche" du début).

Dans une situation pareille, quel autre choix que de faire venir la mère de Rachel de New-York ? Heureusement, il semblait y avoir une promotion "last minute" pour les modestes mères immigrées chinoises.

Une fois consolée par sa môman, Rachel reprend du poil de la bête et donne rendez-vous à sa Némésis de belle-maman dans un bar où l'on joue au Mah-jong. Au cours d'une partie endiablée, elle va annoncer à sa belle-mère qu'en fait elle lui laisse son fils, qu'elle a refusé sa demande en mariage.

Pourquoi ? Hé bien, on ne sait pas vraiment... et si Rachel le sait, ce n'est pas très clair. Ça n'a pas d'importance de toute façon puisque très rapidement sa belle-mère change d'avis et donne en fait sa bénédiction pour le mariage. Pourquoi ? Hé bien, on ne sait pas vraiment... et si la belle-mère le sait, ce n'est pas très clair.

Et voilà. On suppose qu'ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants...

 

Il est où le problème ?

Le problème c'est que le film transmet tout un tas de messages complètement dépassés au mieux, racistes et sexistes au pire. Ces messages ne sont pas cachés... Je ne parle pas d'une analyse des Cahiers du Cinéma d'un film d'Ingmar Bergman, je parle de messages explicitement énoncés dans le film.

En voici une liste non-exhaustive :

  • Être riche est une vertu. Il faut profiter de son argent de la manière la plus exubérante possible sans honte : les riches sont riches et les pauvres sont pauvres. C'est comme ça, on y peut rien. Les riches ne sont pas le problème et ils n'ont aucune responsabilité dans le problème. (Ne seraient-ils pas la solution d'ailleurs ?)

  • Consommer de manière irresponsable est la clé du bonheur. Consommer c'est être heureux. Et qu'on ne vienne pas nous emmerder avec les ressources limitées, la pollution ou l'exploitation des plus pauvres. Ici nos héros sont en permanence dans la démesure sans qu'à aucun moment il n'y ai l'ombre d'un prémisse d'un clin d’œil à un quelconque problème.

  • La femme au service de l'homme. En fait ce dont les femmes rêvent c'est du prince charmant. Beau et riche. Bien sûr les femmes peuvent s'occuper en attendant, mais le vrai truc important de leur vie c'est de trouver LE prince charmant à marier. C'est un reproche qu'on pourrait faire à beaucoup des comédies romantiques mais ici il est tellement exprimé au premier degré qu'il fait passer "Cendrillon" pour un brûlot féministe.

  • L'individualisme gagne à la fin. Le discours de la mère sur le fait de faire passer le bien de la famille avant son bonheur personnel est un discours de "méchant" dans le film. D'ailleurs, à la fin, la belle-mère trouve la rédemption en acceptant le mariage de son fils et en renonçant donc à ses valeurs. Évidement le discours de la belle-mère est caricatural et intentionnellement liberticide mais s'il y a bien un héritage des cultures orientales dont nous pourrions nous inspirer c'est bien celui qui consiste à accepter de mettre de côté l'individu pour le bien être du plus grand nombre.

 

Bref, le film porte des valeurs néo-capitalistes, anti-écologistes, individualistes et sexistes... avec une violence inouïe mais sous la forme tranquille d'un film de Frank Capra. Comme si l'oligarchie n'avait même plus à se cacher. Comme si "Mr. Potter" était le héros de "It's a wonderful Life".