La société à travers le prisme du chat qui miaule dans le garage de mon voisin

Il m'est arrivé un truc marrant hier, faut que je vous le raconte. Avant de commencer il faut savoir pour ceux qui ne me connaissent pas que j'habite un petit village du sud de la France et que je travaille de la maison.

Hier c'était l'été, il était 15h et quelqu'un sonne à ma porte. Je vais ouvrir et je trouve une dame bien sympathique mais visiblement super stressée (appelons-la Mireille) et un mec bien sympathique mais visiblement un peu bourré (appelons-le José). Mireille et José m'expliquent qu'ils font partie d'une association de protection des félins dans le village et qu'on leur aurait rapporté qu'un chat miaulait dans le garage de mon voisin (appelons-le Richard). Le chat serait coincé et ils voudraient m'emprunter une chaise pour pouvoir regarder à travers une fenêtre au dessus de la porte du garage.

Je leur prête donc une chaise et je les accompagne devant la porte du garage en question. C'est José qui monte dessus. Apparement il fait assez sombre et il ne voit pas grand chose mais au bout de quelques minutes il voit un petit chaton. Le chat serait donc une chatte et elle aurait eu des petits chatons.

Là dessus, Mireille devient encore plus stressée. Elle va sonner chez un autre voisin (appelons-le Harvey) pour savoir si celui-ci à vu Richard ces derniers jours. Tiens, "maintenant que vous le dites", non, Harvey ne l'a pas vu depuis quelques jours. Mireille passe alors en mode détresse intense : pas une minute à perdre, il faut appeler la police pour faire défoncer la porte du garage et secourir ces pauvres félidés.

J'essaye de tempérer tout ça modestement en proposant d'attendre de voir si Richard rentre le soir et d'attendre le lendemain avant d'enfoncer sa porte de garage. Je ne vais pas mentir : je m'en fous un peu de la porte du garage de Richard mais le miaulement ne me parait pas vraiment être un miaulement de détresse... Et puis aussi j'aimerais bien retourner bosser tranquille au plus vite, tout ce lien social m'épuise.

Entre temps, une autre voisine (pas besoin de la nommer) est sortie de chez elle. Le sort du chat n'a pas l'air de l'inquiéter outre mesure mais de toute évidence cette petite animation impromptue n'est pas pour lui déplaire et c'est l'occasion de se griller une clope au soleil.

José, toujous un peu bourré (le soleil estival n'arrangeant rien), essaye de détendre Mireille en racontant des blagues salaces et pas drôles (le fil conducteur étant qu'on essaye d'attraper une chatte et que lui il aime attraper des chattes). Ça n'a pas l'air de marcher des masses sur Mireille alors il me balance des clins d'oeil et des coups de coudes parce que après tout puisque j'ai un pénis, je dois trouver ça drôle.

Une heure plus tard, le voisinage direct est en effervescence et une décision est prise par la présidente de l'association de défense féline arrivée en backup : on va glisser une gamelle d'eau dans le garage par la fenêtre (grâce à un mécanisme de ficelles relativement élaboré) et attendre le lendemain pour appeler la police. Je suis chargé de signaler par texto le retour éventuel de mon voisin d'ici là.

Si vous vous attendez à un payoff de dingue après un setup pareil, je vous déçois direct... J'ai croisé Richard dans le village le lendemain matin en promenant mon chien : il a un jeune chaton de 3 mois qui miaule pas mal quand il est seul, le chaton a tout ce qu'il lui faut dans le garage (il a d'ailleurs également accès à la maison) et si on ne l'a pas vu ces derniers jours c'est juste que contrairement aux zouaves habituels du village, il est du genre discret.

Alors pourquoi je devais vous raconter cette histoire somme toute assez banale et qui intéresserait à peine ma grand-mère ? Parce que cette anecdote est en fait représentative de notre société : il suffit qu'un petit nombre se trompent et qu'un grand nombre s'en foute pour que le petit nombre entraîne les autres.

Ici on était à deux doigts d'enfoncer la porte de garage de Richard. Pourquoi ? 

  • Parce que José était un peu bourré et, s'attendant à voir un chat adulte, a cru que le chaton était en fait un des membres d'une portée imaginaire.
  • Parce que personne n'a jugé bon de remettre en question cette déduction, pourtant a posteriori complètement loufoque.
  • Parce que même si tout ce beau monde cautionne la souffrance animale quotidienne en bouffant du saucisson et du camembert, le miaulement d'un chaton leur semblait insoutenable.

Alors bon, ici c'est rien c'était une porte de garage. Mais les réactions auraient-elles été radicalement différentes dans un contexte beaucoup plus grave ?

Cette petite aventure m'a en tout cas ouvert les yeux sur la facilité avec laquelle des affaires de type de celles d'Outreau arrivent : les gens tiennent tellement à vouloir "faire partie du groupe" qu'ils en viennent malgré eux corroborer des faits inconsciemments... Comme par exemple Harvey qui n'avait plus vu Richard depuis quelques jours : avait-il prêté une attention particulière pour le voir ? Le voyait-il plus régulièrement habituellement ? Non. C'est juste qu'il ne l'avait pas vu par hasard depuis quelques jours.

Bref, voilà. Je n'ai pas de conclusion fracassante ou d'épilogue révélateur... Je me suis juste rendu compte en "vrai" de la vitesse à laquelle une erreur de jugement peut être faite et à quelle vitesse les gens peuvent alimenter sans le vouloir cette erreur à tel point qu'il est difficile de revenir en arrière.

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